Dynamiques de l'Actomyosine Corticale lors du Développement et de la Morphogénèse (CADMO)

Nous cherchons à comprendre comment les embryons changent de forme au cours du développement, et nous nous intéressons en particulier aux processus biologiques qui contrôlent les propriétés mécaniques des cellules et des tissus embryonnaires.

Le cytosquelette d’actomyosine corticale est un déterminant majeur de ces propriétés mécaniques des cellules. Cependant, nous n’avons pas encore une vue d’ensemble qui nous permette de faire le lien entre une description biochimique de l’actomyosine, la géométrie du réseau et la mécanique cellulaire. Notre objectif est donc de caractériser comment, à partir des dynamiques biochimiques locales du cortex in vivo, émerge un polymère structuré, actif et dynamique, contrôlant les aspects mécaniques de la cellule et la morphogénèse.

Pour cela, nous utilisons un modèle biologique puissant, le nématode C. elegans, un petit ver de quelques millimètres, et nous combinons une variété d’approches de différents domaines : imagerie cellulaire quantitative, génétique, optogénétique, biophysique et biochimie.

Pour les non-spécialistes 

Au cours du développement de l’embryon, chaque cellule joue son rôle dans un ballet bien orchestré qui donne sa forme finale à l’organisme. Mais pour modeler un embryon, les cellules doivent doivent accorder leurs propriétés mécaniques de façon concertée et strictement régulée.

Le cortex, une fine couche de polymère qui s’assemble à la surface de la cellule, est largement responsable des propriétés mécaniques de la cellule, un peu comme les propriétés mécaniques d’un ballon sont définies par la nature du plastique qui le constitue. Les propriétés mécaniques de ce polymère proviennent des fibres qui le constituent, tout comme la nature rigide ou extensible d’un vêtement dépend de la nature de la fibre dont il est fabriqué.

En plus de ces propriétés classiques, que l’on peut appréhender dans la vie quotidienne, le cytosquelette d’actomyosine présente des propriétés moins traditionnelles.

Dynamique. Premièrement, il s’assemble et se défait très rapidement : il est dynamique. Si vous déposez un ballon sur une étagère, et revenez un an plus tard, vous retrouverez le même ballon, constitué des mêmes fibres de polymère. De même pour un vêtement et le tissu qui le constitue. Au contraire, le cortex d’une cellule est composé de filaments dont la durée de vie va de quelques secondes à quelques minutes. Allez prendre un café et revenez deux minutes plus tard, vous n’aurez plus le même matériau : tous les filaments présents quand vous êtes partis ont disparus, ils ont été détruits, et remplacés par des filaments qui n’existaient pas auparavant. Cette propriété a une conséquence directe très importante : le cortex est visco-élastique. Sur une courte échelle de temps, il se comportecomme un ressort : on parle d’un matériau élastique. Sur une échelle de temps plus longue au contraire, il se comporte comme un fluide visqueux. Si l’on tire dessus très lentement, il se déforme, comme du miel, change de forme sans effort.

Actif. La seconde propriété du cortex est sa capacité à se contracter : il est actif. Le cortex est constitué de filaments, comme les fibres d’un plastique ou d’un tissu, mais aussi de moteurs moléculaires, de protéines capables de se comporter comme des moteurs miniatures, qui peuvent faire rétrécir notre réseau de polymère. Cela lui confère une propriété très intéressante. Imaginez un pull rétrécissant dans votre dos, alors que du nouveau tissu se formerait à l’avant, ou encore un ballon rétrécissant à une extrémité, tandis que du nouveau caoutchouc se formerait à l’autre. C’est ce qui se produit immédiatement après la fécondation, lorsque la première cellule de l’embryon devient asymétrique, avec un côté qui deviendra l’avant et un autre l’arrière de l’embryon.

Notre objectif est de comprendre comment l’assemblage du cortex, ce polymère actif et dynamique, contrôle la mécanique de la cellule.

Vidéo

Vidéo François Robin

Précédents travaux

La structuration spatio-temporelle de la contractilité de l’actomyosine joue un rôle clé dans la morphogénèse des cellules et des tissus lors du développement. Dans les cellules embryonnaires, les réseaux d’actomyosine sont des structures hautement dynamiques qui se renouvellent toutes les 10 secondes. C’est le résultat de la combinaison de « turnovers » (assemblage/désassemblage local de filaments et recrutement/inactivation de moteurs) et de mouvements (redistribution spatiale rapide des filaments, moteurs et autres éléments du réseau amenés par la contraction du réseau, elle-même provoquée par l’activité de la myosine ou la polymérisation de l’actine). Du fait de ces deux propriétés - dynamisme et activité - la contractilité est complexe et s’auto-organise de façon intrinsèque.

Nous utilisons l’embryon du ver C. elegans afin de comprendre comment les cellules génèrent des forces mécaniques en modulant localement la contractilité du réseau d’actomyosine.

Les contractions pulsées représentent un mode de contraction de l’actomyosine répandu, au cours duquel des accumulations locales d’actine F et de myosine II accompagnent un rétrécissement local de l’enveloppe de la cellule. Ces contractions pulsées ont été observées dans de nombreux contextes biologiques, chez le zygote de C. elegans, pendant le développement embryonnaire chez la drosophile ou le Xénope, et en culture cellulaire.

Dans un travail précédent, nous avons combiné microscopie de fluorescence deux couleurs, microscopie en molécule unique, traque automatisée de particules, et modélisation numérique pour élucider les mécanismes de l’initiation et de la terminaison de ces pulses. De façon inattendue, nos résultats démontrent que la composante mécanique (advection) ne joue qu’un rôle mineur dans l’initiation et la terminaison des pulses, qui sont contrôlés essentiellement par le turnover de l’actomyosine. Dans notre système, l’activation/recrutement auto-catalytique de RhoA est responsable de l’initiation des pulses, tandis que le recrutement de l’inactivateur de RhoA (RGA-3/4), cinétiquement retardé, détermine la fin des pulses.

Ce travail pluridisciplinaire met en lumière les mécanismes qui régulent la dynamique de l’actine pendant les contractions pulsées, démontrant que ces pulses ne sont pas la conséquence « naturelle » des propriétés mécaniques du cortex, mais résultent au contraire de l’activation locale et auto-catalytique de la voie de signalisation RhoA.

Collaborations

Imagerie

Une large partie de notre travail consiste à utiliser des approches de microscopie afin d’observer la dynamique des protéines membranaires et corticales et de comprendre ainsi comment ces protéines participent à la production des forces au sein des cellules et des tissus.

Techniquement, nous utilisons la microscopie TIRF pour visualiser la surface cellulaire de l’embryon et enregistrer les dynamiques de molécules uniques à la surface des protéines. Nous nous servons ensuite de techniques d’analyse d’image (détection/traque de particule unique), et de modèles mathématiques pour extraire les données de mobilité et de turnover des protéines.

Au laboratoire, nous combinons ces approches pour tenter de poser, de manière simple, versatile et peu invasive, un grand nombre de questions.