Biologie synthétique et systémique des microalgues

Notre espèce et notre civilisation sont peut-être confrontées aux défis agricoles, environnementaux, industriels et économiques les plus importants et les plus inédits de leur histoire. La biologie synthétique et systémique offre de nouvelles possibilités pour répondre à des questions fondamentales en utilisant de nouvelles approches et de nouveaux concepts ou pour créer des systèmes artificiels ayant des applications biotechnologiques et industrielles.

Nous considérons qu'il s'agit d'une merveilleuse opportunité pour permettre une deuxième révolution verte à même de relever les défis les plus urgents en tirant parti des microorganismes phototrophes tels que les microalgues vertes et les cyanobactéries, et de leur capacité inhérente à fixer le CO2 pour produire des molécules organiques par un processus durable et dépendant de la lumière du soleil. S'attaquer à ces grands défis nécessitera une meilleure compréhension des mécanismes de fixation photosynthétique du carbone, des processus permettant l'adaptation aux contraintes environnementales et du réseau de signalisation redox qui contrôle étroitement les deux processus. L'équipe s'intéresse à ces trois thématiques et développe également, d'une part des méthodes, outils et concepts de biologie synthétique chez les microalgues pour des développements fondamentaux et appliqués et, d'autre part, des technologies de stockage numérique sur ADN.

L'équipe utilise une approche multidisciplinaire combinant la biologie des systèmes, la biologie synthétique, la biologie moléculaire, la biochimie, l'ingénierie des protéines, la protéomique, la biologie structurale, la génétique et la biologie cellulaire.

Nos études se focalisent principalement sur l’algue verte unicellulaire Chlamydomonas reinhardtii, un organisme modèle majeur pour l’étude de la photosynthèse et possédant un fort potentiel biotechnologique. Des modèles complémentaires sont également étudiés tels que la levure Saccharomyces cerevisiae, la cyanobactérie Synechocystis PCC6803, la plante terrestre Arabidopsis thaliana ou la bactérie Escherichia coli.

Les travaux de notre équipe portent sur cinq axes de recherche décrits ci-après.

1. Réponses aux stress environnementaux

Responsable scientifique : Dr. Antoine Danon

Nous utilisons Chlamydomonas pour tenter de comprendre comment un organisme unicellulaire s'adapte pour survivre dans un environnement hostile. S'il a déjà été démontré que face à un stress intense, Chlamydomonas peut déclencher une mort cellulaire programmée (PCD), nous avons découvert dans notre équipe qu'en réponse à des stress plus modérés, les cellules s'agrègent pour former d'impressionnantes structures multicellulaires dans lesquelles les algues peuvent être protégées de l'environnement toxique. Nous essayons de découvrir les mécanismes qui contrôlent à la fois la PCD et l'agrégation chez Chlamydomonas.

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Chlamydomonas reinhardtii est l'organisme modèle le plus important de la lignée des algues vertes, tant pour la recherche fondamentale que pour les applications biotechnologiques. Nous utilisons Chlamydomonas pour essayer de comprendre comment un organisme unicellulaire s'adapte pour survivre dans un environnement hostile. Bien que certaines expériences indiquent l'existence d'une mort cellulaire programmée (PCD) en réponse à des stress sévères chez Chlamydomonas, les mécanismes contrôlant ce processus et les voies de signalisation impliquées, n'ont pas encore été identifiés (de Carpentier et al., 2019). De manière surpenante, nous avons récemment montré que les cellules de Chlamydomonas qui s'autodétruisent émettent des molécules dans le milieu de culture qui permettent une meilleure résistance et survie des autres cellules de la population, mettant en évidence l'existence de mécanismes altruistes. Nous avons également découvert qu'en réponse à des stress plus modérés, les cellules s'agrègent pour former des structures multicellulaires dans lesquelles les algues peuvent être protégées. L'agrégation cellulaire serait un stade intermédiaire où le stress n'est pas assez fort pour induire une PCD, mais où les cellules collaborent néanmoins pour se protéger.

Comme Chlamydomonas se prête à des approches génétiques puissantes, nous avons construit une bibliothèque de mutants insertionnels, à partir de laquelle nous avons identifié deux familles de mutants originaux : les mutants survivants (sur) qui ne déclenchent plus de PCD en réponse à plusieurs stress, et les mutants socializer (saz) qui forment des agrégats spontanément. Nous avons identifié les gènes affectés dans la plupart de ces mutants. Une caractérisation plus poussée des mutants par des études RNA-Seq et de protéomique quantitative a été réalisée et nous a permis d'obtenir une meilleure vue d'ensemble des mécanismes contrôlant la PCD et l'agrégation chez Chlamydomonas. Notre approche multi-omique nous a permis d'identifier des régulateurs clés potentiels de la PCD et de l'agrégation chez Chlamydomonas. Ces candidats sont ensuite testés pour leur implication dans l'agrégation ou la PCD en utilisant des mutants obtenus à partir du Chlamydomonas Library Project (CLiP) (Li et al., 2019).

La dynamique et le mode de formation des structures multicellulaires chez Chlamydomonas étant très mal connus, nous développons également des outils microfluidiques qui nous permettent de suivre ce processus en détail sur une période de temps allant de plusieurs heures à plusieurs jours. Certains des candidats que nous avons identifiés dans nos études multi-omiques peuvent être fusionnés à des protéines fluorescentes spécifiques, grâce à des outils développés dans notre laboratoire (Crozet et al., 2018 ; de Carpentier et al., 2020), afin de suivre leur mouvement pendant la même période, et de mettre en évidence leur rôle potentiel.

L'agrégation des cellules sur une longue période est l'une des hypothèses classiquement formulées pour expliquer la transition entre unicellularité et multicellularité au cours de l'évolution. Nos recherches sur les mécanismes conduisant à l'agrégation en réponse à un stress et la caractérisation des mutants saz pourraient donc également contribuer à une meilleure compréhension de l'apparition de la multicellularité chez les Volvocales.

Références

2. Réseaux de signalisation redox

Responsable scientifique : Dr Christophe Marchand

Les réponses aux fluctuations des conditions environnementales sont basées sur des réseaux de signalisation et de régulation métabolique sophistiqués où les espèces réactives de l'oxygène, de l'azote et du soufre jouent un rôle clé. Elles agissent principalement sur des cystéines protéiques spécifiques par un ensemble de modifications post-traductionnelles redox (ponts disulfure, nitrosylation, glutathionylation, persulfuration...). Ces modifications sont contrôlées par de petites oxydoréductases, les thiorédoxines et les glutarédoxines.

Nous développons, chez Chlamydomonas reinhardtii plus particulièrement, des approches innovantes combinant la chémobiologie, la biologie synthétique et la biologie systémique pour 1/ appréhender la dynamique et la plasticité de ces réseaux de modification redox et 2/ comprendre au niveau moléculaire comment les espèces réactives, les modifications redox et les protéines redox agissent ensemble pour moduler rapidement les processus cellulaires et les voies métaboliques afin de permettre l'adaptation et la survie.

3. Biologie structurale et synthétique des enzymes

Responsable scientifique : Dr. Julien Henri

La détermination expérimentale à l’échelle atomique des structures des douze protéines constituant la voie de fixation du carbone photosynthétique, le cycle de Calvin-Benson-Bassham révèle les mécanismes biochimiques à l’origine de la catalyse enzymatique. Nous nous intéressons de plus aux modifications chimiques post-traductionnelles (oxydo-réductions, phosphorylations) modulant les activités enzymatiques et aux interactions protéine-protéine établies entre les enzymes ou entre les enzymes et leurs régulateurs thiorédoxines. La compréhension des mécanimes allostériques et des canalisations métaboliques du système multi-enzymatique du cycle de Calvin-Benson passe enfin par la synthèse de protéines et de complexes artificiels.

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Crédit illustration : Jeanne Le Peillet @jeannedart

La photosynthèse est la principale source de carbone et d'énergie pour la biosphère. Le cycle de Calvin-Benson fixe le dioxyde de carbone atmosphérique en trioses organiques dans le stroma des chloroplastes. Si les onze activités catalytiques constituant le cycle s'avèrent individuellement nécessaires à la fixation, nous disposons de peu d'informations sur la coopération supra-moléculaire entre ces enzymes. Afin de comprendre le fonctionnement du cycle de Calvin-Benson en tant que système intégré, le projet CALVINTERACT ambitionne de déterminer les structures cristallographiques de trois complexes multi-protéiques, de caractériser in vitro leurs interactions protéine-protéine et de détecter des complexes dans des extraits de cellules. Nous compléterons les analyses des interactions natives par la création de complexes multi-enzymatiques artificiels, suivant une approche de biochimie synthétique. Les effets sur l'activité photosynthétique seront mesurés dans l'algue verte Chlamydomonas reinhardtii.

Le projet propose de définir dans un organisme unicellulaire modèle, l'algue verte Chlamydomonas reinhardtii, l'ensemble des structures des enzymes de Calvin Benson permettant la fixation de carbone. Outre les structures individuelles nouvellement déterminée pour des enzymes chloroplastiques, le projet s'attache à décrire les états homo-oligomériques de ces protéines, leurs interactions avec des régulateurs redox, les thiorédoxines, et les interactions protéine-protéine que les enzymes peuvent faire entre elles. Par biologie de synthèse, de nouvelles interactions sont conçues et leurs effets testés sur l'efficacité enzymatique et le métabolisme.

Le projet dépend premièrement de la détermination de structures à haute résolution par cristallographie aux rayons X d'enzymes recombinantes surexprimées dans l'hôte Escherichia coli. Au cours des premiers mois du projet, nous avons soumis une des enzymes à une analyse par microscopie électronique. Les états complexés des protéines sont recherchés dans des extraits d'algues, par chromatographies d'abord et co-immuno-précipitations à l'avenir. Une stratégie de prédiction des interactions protéine-protéine par analyse in silico a été mise en place dans le cadre d'une nouvelle collaboration.

Les structures de toutes les enzymes non encore déterminées, sauf une, ont été obtenues. Un nouveau régulateur rédox a été identifié par l'analyse des résidus de surface du modèle cristallographique. Des états de hauts poids moléculaires de certaines enzymes ont été observés sur chromatographie d'exclusion stérique, ces expériences appellent des validations et des caractérisations plus avancées. L'isolation de complexes multi-enzymatiques in vitro et la construction de complexe artificiels sont les objectifs principaux faisant l'objet des efforts de la deuxième phase du projet.

4. Biologie Synthétique des Microalgues

Responsable scientifique : Dr. Pierre Crozet

La Biologie Synthétique est une discipline d’ingénierie utilisant une liste toujours croissante de modules biologiques fonctionnels. Elle vise à construire des systèmes biologiques de façon rationnelle afin de les comprendre. Nous utilisons ses concepts et outils pour étudier la régulation et les limitations de la photosynthèse chez l’algue verte Chlamydomonas reinhardtii

Notre première approche est de reconcevoir des voies métaboliques pour contrôler in vivo la quantité de leurs enzymes. Le second projet (paléo-biochimie) vise à utiliser l’Evolution comme une ressource (résurrection de séquences ancestrales, évolution dirigée) pour explorer de nouveaux chemins évolutifs de la fixation de carbone. Nous cherchons aussi à ajouter de nouvelles voies métaboliques (conception de novo) afin d’étendre les capacités photosynthétiques. Enfin, nous développons de nouveaux outils standardisés (MoClo, portes logiques) nécessaires à la construction de ces concepts.

5. Stockage d’information numérique sur ADN

Responsable scientifique : Dr. Stéphane Lemaire

Le stockage des données numériques est un défi majeur dans nos sociétés modernes. Les supports numériques actuels stockés dans des data centers sont fragiles, encombrants et énergivores. La transformation numérique de nos sociétés nécessite un bouleversement majeur de nos technologies de stockage numérique. Le stockage de données sur ADN est une technologie émergente qui présente l'avantage d'être stable pendant des milliers d'années, extrêmement compacte et économe en énergie. Notre équipe développe des concepts innovants sur le stockage de données sur ADN basés sur la domestication de systèmes biologiques.