Une nano-machine cellulaire pour rendre un processus morphogénétique irréversible

Des chercheurs du Laboratoire Biologie du Développement1 ont caractérisé le processus moléculaire permettant de rendre l’allongement du vers C. elegans irréversible. Ces résultats ont été publiés en août 2019, dans la revue Nature2.

Au cours du développement embryonnaire, l’embryon du ver devient en un peu plus d’une heure deux fois plus long sous l’effet de contractions musculaires. Ces contractions ont pour effet d’étirer progressivement les cellules épithéliales constituant la peau de l’animal avec lesquelles les muscles sont en contact direct.

En alliant génétique, biologie et physique, les chercheurs sont parvenus à établir une modélisation mathématique qui a permis de découvrir que la forme de l’embryon est transitoirement bloquée après chaque contraction musculaire. En effet, ils ont déterminé que l’action coordonnée de deux protéines (une kinase et un nouveau partenaire, une protéine du cytosquelette membranaire appelée alpha-spectrine) permet ce blocage transitoire et donc l’étirement du ver. Lorsque ces deux facteurs sont absents, l’embryon s’étire, puis se rétracte afin de revenir à sa forme initiale.

Ils ont également montré que ces deux protéines orchestrent la réorganisation du cytosquelette d’actine de l’épiderme et permettent l’allongement coordonné des muscles et de l’épiderme.

Ces résultats soulignent l’importance de la plasticité physique dans la modification des formes de cellules. Par delà C. elegans, ils devraient aussi s’appliquer aux mammifères dans la mesure où la plupart de nos organes sont constitués de cellules contractiles juxtaposées à des cellules épithéliales (par exemple poumon, estomac, intestin, glande mammaire). La contraction de cellules contractiles pourrait influencer sur la morphogénèse de l’organe ou sa cicatrisation après blessure. Ensuite, les cellules voisines de cellules tumorales peuvent être des cellules contractiles, et en raison de cette proximité, leurs propriétés pourraient être modifiées et/ou leur invasion facilitée.

Cet article a fait l'objet d'une actualité sur le site de l'INSB3 et dans la lettre d'info des Instituts du CNRS "en direct des labos".

Gauche : L’embryon de C. elegans avec ses filaments d’actine dans l’épiderme en vert. En haut, embryon sauvage qui s’allonge normalement. L’actine est organisée en câbles parallèles. En bas, embryon avec perte de fonction pour deux protéines régulant les propriétés mécaniques des cellules, qui s’allonge puis revient à sa taille initiale (rétraction). Les câbles d’actine sont désorganisés, moins parallèles. Droite : Schéma symbolisant comment l’allongement est stabilisé au cours du temps par un mécanisme à cliquet. En haut : Grâce à une roue dentée, la remontée du seau se fait étape par étape et est verrouillée par un cliquet. Si le bonhomme lâche la barre, le seau reste suspendu. En bas : La remontée du seau n’est plus verrouillée parce que la roue n’est plus adaptée pour bloquer le cliquet. Si le bonhomme lâche la barre, le seau retombe au fond du puits.

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1Laboratoire Biologie du Développement, Equipe Forces Mécaniques et Morphogénèse des tissus 

2An actin-based viscoplastic lock ensures progressive body axis elongation. Alicia Lardennois, Gabriella Pásti, Teresa Ferraro, Flora Llense, Pierre Mahou, Julien Pontabry, David Rodriguez, Samantha Kim, Shoichiro Ono, Emmanuel Beaurepaire, Christelle Gally, Michel Labouesse. Nature, August 2019 doi:10.1038/s41586-019-1509-4

3Actualité INSB : https://insb.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/une-nano-machine-cellulaire-pour-rendre-un-processus-morphogenetique-irreversible